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jeudi 21 février 2013

Entretien avec Guillaume Etiévant, Président de la Commission économie du Parti de Gauche et membre de la Fondation Copernic


Entretien réalisé par Raoul Alquier


Le ministre des finances a récemment affirmé que le pacte de compétitivité et l'accord signé entre le Medef et trois syndicats constituent une "révolution copernicienne" pour la gauche. Quel bilan peut-on faire de la politique économique et sociale du nouvel gouvernement en place depuis neuf mois déjà?

Le bilan est désastreux à tout point de vue. Ce que le ministre des finances appelle une "révolution copernicienne", c'est tout simplement le ralliement du PS et de ses alliés aux intérêts de la classe dominante. Ce ralliement n'est pas nouveau mais s'est accéléré dans la dernière période. L'obsession de la lutte contre le "coût" du travail  et pour la réduction du déficit participe d'une même logique : augmenter la part de richesses produites qui va dans les poches des actionnaires en s'attaquant aux salaires et en diminuant les dépenses publiques. Le résultat est désolant : nous traversons une crise sociale considérable, les fermetures d'usines se multiplient, et la France sera en récession cette année. Le gouvernement voudrait à la fois se faire bien voir des patrons et sortir de la crise. C'est impossible, il faut choisir. L'intérêt des actionnaires est contraire à l'intérêt général ; tant que nos gouvernants resteront soumis aux injonctions des actionnaires et des banquiers, nous ne sortirons pas de l'impasse. La pathétique loi bancaire, le pacte de compétitivité, l'ANI... Les exemples s'ajoutent les uns après les autres, prouvant que ce gouvernement a abandonné complètement l'idée du progrès social.


Concernant plus particulièrement l'accord national interprofessionnel, est-il vrai que les travailleurs ont gagné au change? Est-ce qu'on peut attendre des améliorations au moment de la transcription des accords par un parlement avec une claire majorité issue du parti socialiste?

Le gouvernement a parlé d'un accord historique. Il est en effet historique du point de vue de la casse du code du travail. Le Medef s'en est d'ailleurs vivement félicité. L'ensemble des mesures qu'il contient vont à l'encontre des salariés, et les quelques pseudo "nouveaux" droits ne sont en fait que des trompes l'œil remplis de dérogations possibles et soumis à d'hypothétiques négociations futures. Cet accord renforce en fait le pouvoir des employeurs, notamment celui d’imposer des baisses de salaire, l’augmentation de la durée du travail ou des changements de lieu de travail, sous peine de licenciement pour le salarié qui oserait refuser. Le gouvernement fait ce que le Medef rêvait depuis 30 ans et que même Nicolas Sarkozy n'avait pas réussi à faire passer : la poursuite de l'inversion de la hiérarchie des normes et la mise à mort du principe de faveur qui prévoyait auparavant que le code du travail était la norme supérieure à toutes les autres, un accord ne pouvant y déroger que s'il lui était plus favorable.  



Quels politiques alternatives permettraient de faire respecter les demandes de changement exprimés par les français en sortant Sarkozy? Quel rôle doivent jouer le Front de Gauche et le Parti de gauche dans ce contexte, notamment au cours de la "campagne alternative à l'austérité" lancée le 23 janvier à Metz et le 21 février dans l'arrondissement?

Il faut maintenant se mobiliser d'urgence contre la transcription en loi de cet accord. A cet effet, un collectif unitaire national s'est créé à l'initiative de la Fondation Copernic, dont je fais partie, et d'ATTAC. Nous avons rédigé un document de 25 pages de décryptage de l'accord, un meeting national est organisé le 28 février à la Bellevilloise à Paris, et la CGT et FO, qui n'ont pas signé l'accord, appellent à une grande manifestation le 5 mars, à laquelle le Front de Gauche participera. Ces mobilisations sont indispensables pour forcer le gouvernement à accepter un véritable débat autour de cet accord, qu’il souhaite transcrire les plus fidèlement possible dans la loi alors qu’il a été rédigé par le Medef et signé par des syndicats minoritaires. Le Front de Gauche doit être un moteur de la mobilisation contre l’accord et plus globalement contre la politique du gouvernement. Il est urgent que celui-ci change de feuille de route. Il y a bien sûr peu d’espoirs qu’il le fasse et le Front de Gauche doit donc démontrer qu’il est une réelle alternative gouvernementale à la politique d’austérité à l’œuvre en ce moment. Nous devons donc réussir à mettre en avant nos propositions en prônant notamment une réelle révolution fiscale, une politique de relance par l’investissement public, l’extension des droits des salariés et la mise au pas de la finance. 



Selon le gouvernement le chômage devrait augmenter tout au long de l'année 2013. Face à cette situation catastrophique et désespérante, quel impact pourrait avoir le projet de loi porté par les parlementaires du Front de Gauche qui vise à interdire les licenciements boursiers? Dans ce sens, est-ce que l'annonce d'une loi de la part du gouvernement concernant la reprise des entreprises rentables constitue-il un pas dans la bonne direction?

Concernant la loi de reprise des entreprises, on l’attend toujours et l’ANI ne contient rien de précis là-dessus. Elle sera de toute manière insuffisante, ce qu’il faut c’est une politique en trois axes principaux pour sauvegarder l’emploi : droit de préemption des salariés sur leur outil de travail, droit de veto suspensif des comités d’entreprises pour toutes les décisions stratégiques, et interdiction des licenciements économiques dans les entreprises en bonne santé financière. Le projet de loi Front de Gauche ira dans ce sens et devrait être déposé pendant les débats à l’assemblée sur la transcription de l’ANI. Le but général est d’empêcher les actionnaires de supprimer des emplois pour augmenter la valorisation de leur capital.  Renforcer les droits des salariés et limiter ceux des actionnaires est une urgence pour limiter les dégâts du capitalisme. Et sur le long terme, c’est le système économique actuel qui doit être intégralement bouleversé au profit de l’intérêt général.

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