Entretien
réalisé par Raoul Alquier
Le ministre des finances a récemment affirmé que le pacte de compétitivité
et l'accord signé entre le Medef et trois syndicats constituent une
"révolution copernicienne" pour la gauche. Quel bilan peut-on faire
de la politique économique et sociale du nouvel gouvernement en place depuis
neuf mois déjà?
Le bilan est désastreux à tout point de
vue. Ce que le ministre des finances appelle une "révolution copernicienne",
c'est tout simplement le ralliement du PS et de ses alliés aux intérêts de la
classe dominante. Ce ralliement n'est pas nouveau mais s'est accéléré dans la
dernière période. L'obsession de la lutte contre le "coût" du
travail et pour la réduction du déficit participe d'une même logique
: augmenter la part de richesses produites qui va dans les poches des
actionnaires en s'attaquant aux salaires et en diminuant les dépenses
publiques. Le résultat est désolant : nous traversons une crise sociale
considérable, les fermetures d'usines se multiplient, et la France sera en
récession cette année. Le gouvernement voudrait à la fois se faire bien voir
des patrons et sortir de la crise. C'est impossible, il faut choisir. L'intérêt
des actionnaires est contraire à l'intérêt général ; tant que nos gouvernants
resteront soumis aux injonctions des actionnaires et des banquiers, nous ne
sortirons pas de l'impasse. La pathétique loi bancaire, le pacte de
compétitivité, l'ANI... Les exemples s'ajoutent les uns après les autres,
prouvant que ce gouvernement a abandonné complètement l'idée du progrès social.
Concernant plus particulièrement
l'accord national interprofessionnel, est-il vrai que les travailleurs ont
gagné au change? Est-ce qu'on peut attendre des améliorations au moment de la
transcription des accords par un parlement avec une claire majorité issue du
parti socialiste?
Le gouvernement a parlé d'un accord
historique. Il est en effet historique du point de vue de la casse du code du travail.
Le Medef s'en est d'ailleurs vivement félicité. L'ensemble des mesures qu'il
contient vont à l'encontre des salariés, et les quelques pseudo
"nouveaux" droits ne sont en fait que des trompes l'œil remplis de
dérogations possibles et soumis à d'hypothétiques négociations futures. Cet
accord renforce en fait le pouvoir des employeurs, notamment celui d’imposer
des baisses de salaire, l’augmentation de la durée du travail ou des
changements de lieu de travail, sous peine de licenciement pour le salarié qui
oserait refuser. Le gouvernement fait ce que le Medef rêvait depuis 30 ans et
que même Nicolas Sarkozy n'avait pas réussi à faire passer : la poursuite de
l'inversion de la hiérarchie des normes et la mise à mort du principe de faveur
qui prévoyait auparavant que le code du travail était la norme supérieure à
toutes les autres, un accord ne pouvant y déroger que s'il lui était plus
favorable.
Quels politiques alternatives
permettraient de faire respecter les demandes de changement exprimés par les
français en sortant Sarkozy? Quel rôle doivent jouer le Front de Gauche et le
Parti de gauche dans ce contexte, notamment au cours de la "campagne
alternative à l'austérité" lancée le 23 janvier à Metz et le 21 février
dans l'arrondissement?
Il faut maintenant se mobiliser
d'urgence contre la transcription en loi de cet accord. A cet effet, un
collectif unitaire national s'est créé à l'initiative de la Fondation Copernic,
dont je fais partie, et d'ATTAC. Nous avons rédigé un document de 25 pages de décryptage
de l'accord, un meeting national est organisé le 28 février à la Bellevilloise
à Paris, et la CGT et FO, qui n'ont pas signé l'accord, appellent à une grande
manifestation le 5 mars, à laquelle le Front de Gauche participera. Ces
mobilisations sont indispensables pour forcer le gouvernement à accepter un
véritable débat autour de cet accord, qu’il souhaite transcrire les plus
fidèlement possible dans la loi alors qu’il a été rédigé par le Medef et signé
par des syndicats minoritaires. Le Front de Gauche doit être un moteur de la
mobilisation contre l’accord et plus globalement contre la politique du
gouvernement. Il est urgent que celui-ci change de feuille de route. Il y a
bien sûr peu d’espoirs qu’il le fasse et le Front de Gauche doit donc démontrer
qu’il est une réelle alternative gouvernementale à la politique d’austérité à
l’œuvre en ce moment. Nous devons donc réussir à mettre en avant nos
propositions en prônant notamment une réelle révolution fiscale, une politique
de relance par l’investissement public, l’extension des droits des salariés et
la mise au pas de la finance.
Selon le gouvernement le chômage devrait
augmenter tout au long de l'année 2013. Face à cette situation catastrophique
et désespérante, quel impact pourrait avoir le projet de loi porté par les
parlementaires du Front de Gauche qui vise à interdire les licenciements
boursiers? Dans ce sens, est-ce que l'annonce d'une loi de la part du
gouvernement concernant la reprise des entreprises rentables constitue-il un
pas dans la bonne direction?
Concernant la loi de reprise des
entreprises, on l’attend toujours et l’ANI ne contient rien de précis
là-dessus. Elle sera de toute manière insuffisante, ce qu’il faut c’est une
politique en trois axes principaux pour sauvegarder l’emploi : droit de
préemption des salariés sur leur outil de travail, droit de veto suspensif des
comités d’entreprises pour toutes les décisions stratégiques, et interdiction
des licenciements économiques dans les entreprises en bonne santé financière.
Le projet de loi Front de Gauche ira dans ce sens et devrait être déposé
pendant les débats à l’assemblée sur la transcription de l’ANI. Le but général
est d’empêcher les actionnaires de supprimer des emplois pour augmenter la
valorisation de leur capital. Renforcer les droits des salariés et
limiter ceux des actionnaires est une urgence pour limiter les dégâts du
capitalisme. Et sur le long terme, c’est le système économique actuel qui doit
être intégralement bouleversé au profit de l’intérêt général.
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